Cet article s’intéresse à la manière dont une recherche collaborative adossée à de l’analyse de l’activité permet à des enseignantes de CM1/CM2 de mettre à distance le corpus, sa conception et son utilisation dans le cadre d’une démarche inductive. Alors que les instructions officielles préconisent cette démarche, l’enseignement de la grammaire en école élémentaire reste très magistral. En effet, la démarche inductive ne va pas de soi, elle implique à la fois une solide maîtrise de la part des enseignants du savoir inhérent au corpus et une manière de susciter des questionnements chez les élèves, rendant nécessaire une formation. La recherche collaborative mise en place durant deux années consécutives avec quatre enseignantes a permis de mobiliser les données suivantes : les transcriptions de leurs séances sur la notion phrase simple/complexe, celles des entretiens d’auto-confrontation de chacune, des entretiens de confrontation croisée en année 1 et 2, des réunions de régulation du savoir et bilan. Nous analysons les changements de pratiques entre l’année 1 et 2 ainsi que les déplacements langagiers, d’un entretien à l’autre sur différents objets de discours comme la matérialité, la nature du corpus et sa mise en œuvre. Nous constatons, au fil des entretiens, plusieurs prises de conscience de la part des enseignantes, notamment sur l’incidence du savoir en jeu dans la conception du corpus ainsi que sur les différents usages du langage (justifier, exemplifier...) qu’une démarche inductive suscite.

Les enjeux pour la formation en didactique du français sont interrogés dans cet article par une étude de cas portant sur la conception et la mise en œuvre de séances de langue par des étudiantes en Master MEEF premier degré, dans le cadre de leur mémoire de recherche. En ayant accès à la genèse des mémoires de ces étudiantes, nous disposons de différents types de corpus : le corpus constitué par leurs écrits réflexifs (les mémoires ; les écrits intermédiaires de travail ; les écrits professionnels de préparation des séances), qui sont autant de données qui nous éclairent sur les processus de formation et de professionnalisation ; les corpus d’enseignement conçus pour les besoins de leurs séances, et les corpus d’apprenants qu’elles ont recueillis. L’analyse de ces données montre que les étudiantes ont amorcé une réflexion sur les processus d’apprentissage de leurs élèves, notamment sur leur rythme d’apprentissage, sur le cout cognitif du transfert de connaissances orthographiques et grammaticales dans les productions écrites, ou sur la posture de l’enseignant. Mais cette analyse montre aussi que des tensions et des résistances perdurent, qui témoignent de représentations bien ancrées sur l’enseignement de l’orthographe et de la production écrite. Les étudiantes semblent alors se décentrer des processus d’apprentissage de leurs élèves pour se concentrer davantage sur elles-mêmes et sur ce qu’elles pensent que l’on attend d’elles ou leur représentation du texte idéal. Dans une perspective de formation, il s’agit alors de former les étudiants à l’analyse d’un corpus d’apprenants, en variant les angles d’analyse ; de les entrainer à focaliser leur attention sur l’enseignement /apprentissage d’un fait de langue en veillant à ce qu’ils ne placent pas les élèves en situation de surcharge cognitive.