N°6 | Typologie de phrases pour l'étude de la langue ou la négociation orthographique
La configuration de l’activité
D’un point de vue linguistique, le choix d’une phrase-problème dépend d’une série de critères : chaine(s) syntaxiques, degré(s) d’extension de ces chaines, présence d’un rupteur de la relation syntaxique, longueur (des chaines), fréquence de la flexion des mots choisis. Dans la résolution du problème, la mobilisation des opérations linguistiques – la substitution, la suppression, le déplacement, l’ajout – est plus ou moins prégnante.
D’un point de vue psycholinguistique, c’est la progression d’une phrase à l’autre, et d’une notion à l’autre, qui doit être envisagée. Les variables de la NG portent aussi bien sur les stratégies à mobiliser lors de l’activité que sur ses ambitions à long terme, ramenant encore à la nécessité de définir une ou des progressions.
La structure de la phrase complète
L’analyse des programmes français ou suisses permet de dégager des pistes de progression : la phrase est d’abord simple, puis complexe ; le groupe nominal est d’abord minimal (déterminant – nom ou déterminant – nom – adjectif) puis étendu avec des extensions complexes (un adjectif, un groupe prépositionnel complément du nom, une proposition relative, deux adjectifs coordonnés…) ; les pronoms sont introduits, en position de sujet puis en position de complément ; l’adjectif, d’abord épithète, devient attribut du sujet ; les participes passés sont traités dans des cas de plus en plus complexes. On peut définir ainsi des degrés d’extension. Le degré d’extension 0 correspond à une chaine minimale, par ex. : garder confiance (Jaffré et Bessonnat, 1993). L’extension 1 correspond à une chaine syntagmatique dans le syntagme nominal (les bateaux ivres), les extensions de degrés 2 et 3 correspondent à une chaine s’étendant du syntagme nominal sujet au syntagme verbal avec ou sans attribut du sujet (les élèves travaillaient / les champs paraissaient arides) (d’après Geoffre, 2013).
Nous avons schématisé la phrase-type de CE2 (3e année de primaire) ainsi (figure 2).
Alors qu’une phrase correspondant aux attentes du CM1 (4e année primaire) pourrait être représentée ainsi (figure 3).
Les enjeux d’une phrase-type de CE2 visent l’accord dans le groupe nominal et l’accord sujet-verbe, soit des chaines de degrés d’extension 1 et 2 (ibid.). Les compléments essentiels sont présents pour permettre une phrase ayant un minimum de sens mais, d’un point de vue grammatical, la notion de complément essentiel n’est pas nécessairement mobilisée. Tout au plus le complément essentiel est-il une autre chaine de degré 1 à traiter (groupe nominal). Des résultats récents ont montré qu’en situation de dictée de phrases, en fin de CE1 :
– l’accord du nom au pluriel est marqué environ une fois sur deux (Geoffre, Totereau et Brissaud, 2016 ; Sautot 2016) ;
– l’accord du verbe au pluriel est moins fréquent et dépend de la marque concernée : 5 % d’accords marqués pour des marques uniquement visuelles comme « ils mangent » (Geoffre et al., 2016) ; 35 % pour des marques audibles comme « ils sont » (Sautot, 2016).
Il est donc important de consacrer un temps conséquent de l’année de CE2 au traitement de ces chaines, d’autant plus que cette année de CE2 marque une forte progression dans ces domaines (ibid.).
En CM1, la progression est nette pour plusieurs raisons :
– l’introduction d’un groupe prépositionnel complément du nom impose (ou pas) un rupteur de genre et/ou de nombre différent entre le noyau du sujet et le verbe ;
– l’introduction d’une proposition relative complément du nom impose le passage à une phrase complexe ;
– l’introduction de l’attribut du sujet implique le traitement d’une chaine de degré d’extension 3.
Le verbe conjugué est donc plus éloigné du noyau du sujet que précédemment, la chaine sujet-verbe est perturbée par un groupe rupteur, la chaine entre le sujet et son attribut (degré d’extension 3) implique une nouvelle fonction et un accord à plus ou moins longue distance.
L’analyse grammaticale du complément essentiel n’a, ici, toujours aucun rôle dans la résolution des différents problèmes orthographiques. Elle le deviendra lorsque ce complément essentiel sera un pronom intercalé entre le sujet et le verbe, ce qui constitue un nouveau cas de rupteur.
La progression se dessine clairement et suit celle des degrés d’extension des chaines qui peuvent être considérés comme un indicateur du degré de difficulté du problème à résoudre.
Extrait de :
Jean-Pierre Sautot et Thierry Geoffre, « De quoi la négociation graphique est-elle l’exercice ? », Repères [En ligne], 56 | 2017, mis en ligne le 19 février 2018, consulté le 04 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/reperes/1196 ; DOI : https://doi.org/10.4000/reperes.1196]