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Expliquer la grammaire ou s’expliquer avec la grammaire ?
« Encore faut-il que cette rationalisation s'intéresse au fonctionnement des phénomènes langagiers en rapport avec les enjeux communicatifs. La grammaire c'est ça ! et c'est pas du bidon ! »
Patrick Charaudeau
Le français aujourd'hui n°23, page 24
Quand on discute « grammaire » avec des adultes, souvent les propos en viennent à dire que la grammaire, « Ça m'a toujours barbé ! je n'y comprenais rien... répondre à des questions sur le complément d'objet direct après la dictée ! .... » Cette forme d'exaspération rétrospective est plus fréquente qu'il n'y parait. Elle apparait aussi dans les discours parentaux :
Un acte de résistance à la bêtise orthographique, 29 novembre 2008
S. laissant un avis sur l'internet à propos du Bled :
Il n'y a que 8 à 12% de dyslexiques dans le monde. Les autres sont des fainéants orthographiques.
Avoir une orthographe et une syntaxe correctes est nécessaire, à moins que vous ne comptiez passer votre existence à tenir professionnellement un skyblog pour adolescentes.
Cet ouvrage a des exercices corrigés et des leçons, une horreur pédagogique il paraît. Mais c'est indispensable pour apprendre véritablement la grammaire.
Votre enfant va au lycée ? Votre enfant est au collège ? Savoir tout ça est le fondement à partir duquel il pourra ensuite construire une pensée raisonnée.
Acheter le Bled1 et lui faire faire les exercices fera peut-être de vous un dinosaure, mais votre enfant vous en remerciera plus tard.
S. (Paris, France)
Loin de nous l’idée de critiquer le monument pédagogique que représente le Bled. Cependant … L’idée exprimée par S., parent d'élève, est double. On peut la comprendre comme une dénonciation du fait que l’école ne ferait pas complètement son travail : air connu ... On peut la comprendre comme le fait que le Bled serait l’arme absolue contre un échec dans l’apprentissage des fondamentaux de la langue : orthographe, conjugaison, grammaire. Oui, il est indispensable de faire des exercices pour « apprendre véritablement la grammaire ». Mais, non, il est faux de dire que l’exercice de grammaire construit à lui seul la compétence grammaticale et la pensée de l’enfant.
D'un coté, il y a l'idée que la grammaire est une discipline, au sens rigoriste du terme. De l'autre, il y a l'idée qu'un apprentissage rigoureux, rationnel, est à mener. Les deux ne peuvent être confondus. La rigueur nécessaire pour penser comme pour faire de la grammaire n'a rien à voir avec le dressage scolaire auquel ont été soumis des générations d'élèves, qui parfois sont enseignants aujourd'hui. De là un malaise palpable chez bon nombre de nos collègues. Comment faire de la grammaire « autrement » ? Faire autrement signifie que la forme d'entrainement systématique que proposent les ouvrages construits sur le modèle des Bled, la plupart des professeurs des écoles sont capables de la mettre en œuvre. Cela signifie aussi qu'il y a une demande claire d'activités inductives qui éclairent les règles et les notions que les programmes demandent d'enseigner.
L'idée centrale de notre travail est que la grammaire doit être expliquée aux élèves et un peu aussi aux enseignants. L'intention didactique est que le meilleur moyen de l'expliquer est que les élèves se l'explique eux-mêmes. La grammaire peut être pensée comme la boite à outils du langage. Des outils pour dire sa pensée et non pas la construire. Des outils pour comprendre la pensée de l'autre...
L'irruption de l'Observation Réfléchie de la Langue a laissé croire qu'on ne faisait plus de grammaire dans les classes. Fausse rumeur, bien entendu, mais qui a tout de même généré un malaise palpable dans les écoles et les familles. Le retour un peu brutal à une grammaire dite « fondamentale » en provoque un autre. Le débat sur les Instructions Officielles de 2008 n'est guère pertinent concernant la grammaire. La seule question d'importance à nos yeux, que les programmes ne tranchent pas, reste : comment faire ?
Une grammaire appuyée sur des théories linguistiques
Des théoriciens comme Patrick Charaudeau2 ou Bernard Combettes3 se sont penchés sur le problème. L'apport de la linguistique moderne ne peut être ignoré. Le but de la première partie de l'ouvrage vise à prendre en compte ces apports. Derrière la terminologie officielle, quels sont les concepts descriptifs de la langue qui se cachent ? Nous tentons d'y répondre.
Une grammaire appuyée sur une théorie de l’apprentissage
Le rapport d’Alain Bentolila sur l’enseignement de la grammaire4 ne remet pas fondamentalement en cause l'Observation Réfléchie de la Langue. Il oriente les programmes vers l’étude des concepts fondamentaux de la grammaire. Soit. Il reste que le problème professionnel demeure. La seconde partie de ce livre propose donc différentes manières de construire des problèmes de grammaire pour les élèves. Le défi est de concilier les apports de la didactique et de la linguistique avec le retour à une grammaire traditionnelle. Cependant on ne construit pas la rationalité d'un enfant par le dressage à l'application rigoriste de règles. C'est de la résolution de problèmes qu'émergent les compétences. C'est du moins ce que montrent les recherches que nous avons menées dans les classes.
Une grammaire des activités langagières dans la classe
Les activités proposées, les rituels pédagogiques conçus ici, visent à mettre l'élève en action. On lui demande d'abord d’utiliser un outil de la langue dans diverses productions orales ou écrites, pour ensuite chercher à comprendre comment fonctionne cet outil . Après s’être « expliqué avec la grammaire », l’élève va donc « s’expliquer la grammaire », en bricolant un peu avec la langue française et les significations qu'elle véhicule. C'est à l'issue de cette confrontation qu'il est en mesure d'exprimer une règle, de la comprendre, et de s'entrainer à l'appliquer. La dernière partie de ce livre propose des activités ou des cadres d'activités pour mener à bien l’ensemble de cette démarche.
Au final, l’enjeu est de réconcilier les enseignants, les élèves et les familles avec une grammaire qui réponde au besoin d’aujourd’hui, qui réponde aux demandes des enseignants tant sur le plan linguistique que sur le plan didactique. Ce n'est donc pas un nouveau Bled que nous présentons. Ce n'est pas non plus un fichier que l’on pose sur la photocopieuse pour faire faire grammaire aux élèves. C'est un « handbook », le livre que l'enseignant tient à la main pour (s')expliquer (avec) la grammaire.
1 Le Bled : Orthographe Grammaire Conjugaison, de Edouard Bled , Odette Bled, Daniel Berlion, Hachette 2007
2 Grammaire du sens et de l'expression, Hachette 1992
3 Quelques jalons pour une pratique textuelle de l'écrit, CRDP de Clermont Ferrand, 1989
4 Rapport de mission sur l’enseignement de la grammaire, Alain Bentolila, 29-11-2006