Orthographe lexicale

  1. Sens et graphie : l'orthographe lexicale


A proprement parlé, l'orthographe lexicale n'existe pas ! On regroupe sous ce terme un ensemble de graphèmes aux fonctions variées. Il serait donc vain de vouloir construire une progression spécifique visant à faire acquérir cette part de l'orthographe. Cependant c'est un domaine où sont produites des erreurs nombreuses et fréquentes. Il faut donc y apporter quelques réponses.

Tout d'abord, disons que toute l'orthographe lexicale n'a pas à être maitrisée à la fin du cycle III. La performance exigée des élèves se limite aux graphies des mots d'usages fréquents (i). "Orthographier correctement les mots normalement acquis, y compris les mots-outils"  est un objectif raisonnable. "Les règles exotiques et les exceptions rarissimes n'ont donc pas à être étudiées" (ii).

Cet objectif  général se décline notamment en séries de formes graphiques (iii) à acquérir :

- séries pour lesquelles l'analogie phonologique se double d'une analogie morphologique (ainsi les suffixes : ette, tion , etc. ; les préfixes avec doublement de consonne : immédiat, immerger, immeuble, etc.) ;

- séries par analogie orthographique des finales (ainsi, les finales en ; les finales muette : croc, accroc, broc, etc., dont certaines se réalisent par dérivation : galop, galoper ; tas, tasser, etc.) ;

- séries par analogie étymologique (similitude orthographique des éléments d'une même famille de mots) ;

- séries homonymiques : homographes (un ou une voile, un ou une poêle, le ou la mousse, etc.), homophones non homographes (sain, saint, sein, ceint, etc.).


Les séries où l'analogie phonologique se double d'une analogie morphographique relève de l'étude du système phonogrammique, nous n'en traiterons pas ici.

Les séries par analogie orthographique et celles par analogie étymologique renvoient aux deux facettes d'une même réalité. Si l'on s'attache d'abord au sens des mots, l'entrée est étymologique. Si l'on s'attache au graphèmes à valeur phonique zéro, l'entrée est graphique. Dans les deux cas, la séance d'apprentissage, pour être efficace, passe par la mise en relation d'une forme graphique et d'un sens. C'est d'ailleurs cette mise en relation qui constitue le fondement d'une méthode d'étude.

Mettre en relation sens et forme graphique


Plus que le balayage systématique de l'ensemble des formes existantes, l'étude de l'orthographe lexicale doit rendre les enfants capables de repérer l'analogie (ce qui est facile) et ce à quoi elle correspond (ce qui l'est moins).

C'est par l'étude du vocabulaire d'abord, c'est-à-dire par le sens des mots, que s'aborde l'orthographe lexicale. Cela contraint l'enseigner à intégrer son apprentissage à la progression de vocabulaire. En effet, étudier une série d'analogies graphiques ne permet pas de prédire quelle forme il faut sélectionner lors de l'écriture du mot. Cependant, dès qu'il y a manipulation de sens, la mémorisation de la forme graphique est facilitée par ce qu'il est convenu de nommer la stéréographie de l'écriture : à chaque sens correspond une forme. C'est plus un fonctionnement qu'il faut étudier qu'une liste de formes. C'est donc par la mise en évidence d'un sens commun à des formes variantes ou l'attachement d'une forme donnée à un sens précis que se forge une représentation dynamique de l'orthographe lexicale chez l'enfant. La représentation qu'il faut empêcher de s'installer se résume par : "Il y a une lettre pour faire joli à la fin !" ou "Cette lettre muette, elle complète bien le mot !"

Que faire pratiquement ? Saisir toute occasion de faire de la séance de vocabulaire un lieu de raisonnement sur la relation forme graphique / sens, en privilégiant d'abord la construction du sens des mots et en cantonnant l'orthographe dans son statut d'application graphique du sens à transmettre.

Un exemple basé sur l’étude du suffixe –eau :


L'écriture du son [ o ] en  -EAU : un E qui a le sens de la famille.


Attention toutes les cases ne peuvent pas être remplies !



Mot féminin de la même famille contenant -el-

adjectif de la même famille contenant-el-

nom de la même famille contenant -el-

verbe de la même famille en -eler

beau





bandeau





anneau





bateau





nouveau





morceau





peau





chapeau





jumeau





ciseau





tonneau





ruisseau





chameau







On peut cerner quatre grands domaines dans lesquels ce principe de base s'appliquera :

Les domaines d'étude

Morphologie lexicale


Etudier la morphologie lexicale ne peut se faire qu’après une séance de vocabulaire dédiée à une ou plusieurs familles de mots. L’étude a pour objet le rapport entre la forme du mot de base et son dérivé (iv). La relation entre les deux formes graphiques se caractérise par le “ contrôle ” que la base exerce sur le dérivé. En cas de contrôle étroit, la base se retrouve entièrement dans le dérivé : il n’y a pas alors de variation orthographique ; c’est le cas le plus simple. Le contrôle est cependant fréquemment plus large : la dérivation du mot entraine une modification de la base lexicale (bain / baigner par exemple). Les tableaux récapitulatifs présentés en annexe recensent les différents cas de dérivation. Ils ne constituent pas un programme mais une aide théorique pour l’enseignant. Comme pour le reste de l’orthographe, ce n’est pas une liste d’occurrence qu’il faut construire mais un système. Les objectifs assignés à l’école élémentaire se bornent à la maitrise du contrôle étroit, ce qui limite singulièrement la problématique (v).

Certains auteurs préconisent avec pertinence de ne s’intéresser qu’aux cas qui font problème. Il s’agit alors de faire noter aux enfants les mots où ils ont fait des erreurs d’écriture. Régulièrement l’ensemble de mots “ mis de coté ” sont traités au cours d’une séance de vocabulaire où est intégrée l’observation du rapport entre la base et le dérivé.

Morphogrammes lexicaux


Puisque le programme assigné au cycle III insiste sur les dérivations à contrôle large, l’apprentissage formel de l’orthographe lexicale peut se limiter à son étude phonographique et à l’aspect mutographique (lettres muettes). Une approche mutographique englobe aussi une part importante de l’orthographe grammaticale. La séquence d’apprentissage que nous proposons à présent implique donc que le tri soit effectué entre morphogrammmes grammaticaux et lexicaux. Cette démarche vaut donc aussi en partie pour l’étude de l’orthographe grammaticale


  1. Constitution du corpus : Rechercher les mots du texte contenant une lettre muette.
  2. Identifier les graphèmes : Dire à quoi sert chaque lettre muette.
  3. Trier les mots : Mettre d’un coté les mots où la lettre muette sert à fabriquer un mot de la même famille.
  4. Dériver : A partir des mots choisis, construire des mots de la même famille. La consigne est évolutive : le nombre de mots à trouver, les contraintes de choix peuvent être variées (obligation de construire un verbe, un adjectif ... il s’agit ici de vocabulaire et pas d’orthographe).
  5. Formaliser : Observer le rapport entre la forme de base et la forme dérivée puis expliquer (oralement puis par écrit) les modes de transformation d’un mot vers son dérivé.


La trace écrite finale de cette activité est constituée du compte rendu des observations et des répertoires d’exemples trouvés.

Préfixes et doublement des consonnes


Quand on s’intéresse à la morphologie lexicale, le problème des lettres doubles apparait. En effet, devant N, M, L, R, S, P, F ou C, la dérivation par préfixation entraine dans de nombreux cas le doublement de la consonne initiale du radical. Une fois encore le travail orthographique ne saurait précéder l’exploration sémantique du vocabulaire. La présence de consonnes doubles à la jonction du préfixe et du radical s’explique par des règles complexes d’ordre phonologique. L’étude des conséquences orthographiques de la dérivation par préfixation n’est pas au programme de l’école élémentaire. Il est donc inutile de prévoir une progression pédagogique complexe. En revanche, cette forme de dérivation est au programme dans le domaine du vocabulaire. Un travail important sur la préfixation et ses conséquences sur le sens des mots est bien la meilleure préparation qu’on puisse donner aux enfants en ce domaine. C’est en comprenant que le lieu du doublement est une césure dans l’architecture du mot que l’apprenant pourra anticiper le problème. En cas de doute l’utilisation du dictionnaire doit systématiquement autorisée.

Les lettres historiques


Lors de la construction de corpus de mots, apparaissent des situations qui ne relèvent pas du programme du cycle III. Le Pde “ trop ” ou de “ beaucoup ”, le S de “ temps ” ... sont autant de lettres historiques que l’orthographe a conservé et qui n’ont pas d’autres justifications qu’historiques. Si le traitement de ces graphèmes n’entre pas dans le travail linguistique à effectuer, il est une occasion de se pencher sur l’histoire de la langue. La graphie des mots qui contiennent une lettre historique, s’ils entrent dans le vocabulaire fréquent, doit être mémorisée. La mémorisation en est facilitée si l’origine de la lettre est explicitée plutôt qu’imposée normativement. La recherche des origines des mots et des lettres s’opèrent au moyen de dictionnaires étymologiques ou d’ouvrages spécialisés. Des moments très ponctuels de recherche ne justifient pas de formalisation lingistique. C’est plus la curiosité historique qui motivera les enfants que l’aspect orthographique. Bien entendu, la classe possèdera un dictionnaire adéquat pour mener à bien la recherche.

L’homonymie lexicale


L’homonymie lexicale concerne des mots de même nature grammaticale dont la prononciation est identique. Une distinction existe toujours entre eux. Le genre (un mousse / une mousse) est un procédé fréquent. L’orthographe en est un autre. Pour l’élève, maitriser la distinction entre les différentes graphies passe nécessairement par une mise en rapport de chaque forme avec un sens précis. Si l’aspect sémantique n’est pas sur, l’insécurité orthographique sera grande.

Sur le plan sémantique les homonymes d’une série (par exemple “ sot ”, “ seau ”, “ sceau ” ...) s’inscrivent dans des paradigmes différents : leurs sens respectifs sont assez éloignés les uns des autres. Cette piste doit être exploitée.

Un des exercices classiques en matière d’homonymie est l’exercice à trou et à choix limité. Une série de phrases sans cohérence met en œuvre chacune un des homonymes de la série, la tâche à réaliser est de combler les vides au moyen des homonymes proposés. Cet exercice ne peut servir que d’évaluation ou d’entrainement à l’évaluation. En amont, un double travail sémantique et orthographique doit être réalisé. Sur le plan sémantique chaque homonyme sera replacé dans son paradigme d’origine. Cette activité de vocabulaire se décline selon deux modalités : la synonymie de chaque homonyme avec d’autres mots issus de son paradigme (seau = récipient, sot = stupide ...) et l’intégration dans une série lexicale (sceau > sceller, sot> sottise ...). La première modalité est exploitable au moyen de variantes de l’exercice à trous (voir ci-dessous). La seconde modalité renvoie à l’étude de la morphologie lexicale.


L’exercice à trous.

Choix d’une forme graphique (exercice à trou classique)


Ce garçon est [so].

sceau

Le [so] est plein d’eau.

seau

Le roi marque la lettre de son [so].

sot

Remplacement par un synonyme


Ce garçon est sot.

stupide

Le seau est plein d’eau.

cachet

Le roi marque la lettre de son sceau.

récipient

Variante avec un intrus


Ce garçon est stupide.

sceau, saut

Le récipient est plein d’eau.

seau, sot

Le roi marque la lettre de son cachet.



L’homonymie peut être le prétexte à des jeux orthographiques parfois peu académiques. Puisque face à l’homonymie la classe est confronté à un défi graphique, pour quoi ne pas le relever ? La consigne est fort simple : chercher toutes les manières possibles de transcrire la chaine phonémique. Certaines séries homonymiques sont fort productives. Exemple :

sans - s’en - cent - sang - cens - *san - *sen - *çan - sens ...

Le débat sur l’acceptabilité de la forme est passionnant car bien sur il faut faire justifier les choix. Les monstruosités orthographiques font partie du jeu. La phase de justification graphique ou sémantique renvoie aux activités décrites précédemment mais le caractère défoulatoire de la phase de recherche est un réel plaisir pour les enfants.

Copyright © Jean Pierre Sautot  CRDP de Grenoble - Toute reproduction interdite !

This help file has been generated by the freeware version of HelpNDoc


i On prendra appui sur les tables de fréquence et les échelles d'acquisition (Echelle Dubois – Buysse par exemple)

ii D'après la Circulaire n° 77-208 du 14 juin 1977, Bulletin Officiel du Ministère de l'Education Nationale

iii Ibid.

iv On retrouve ici une méthode utilisable en conjugaison.

v Contrôle étroit : grand / grandeur

Contrôle large : haut / altitude

Absence de contrôle : dépôt / déposer