Erreurs et évaluations

L'évaluation des élèves consiste à dire si leur production est conforme à la norme. Si l'évaluation finale est du ressort de l'enseignant, il est extrêmement formateur de faire participer l'enfant à sa propre évaluation. Le principe de l'évaluation formative répond à ce vœu de participation. Une représentation de l'école encore fort répandue instaure l'enseignant comme le seul détenteur du savoir. Il détient par là même les clés de la norme. Si l'on veut que l'enfant adopte face à la norme une posture adaptée, il faut qu'il prenne conscience que la norme est incorporée en chacun de nous et que l'enseignant n'est qu'un guide susceptible de lui montrer la voie. Encore faut-il que l'enseignant le lui montre par ses pratiques et son discours.

Le discours de l'enseignant est par essence porteur de la norme. La parole du maitre est la norme. Echapper à ce fait est difficile et c'est dans certaines nuances que la normalité dont est chargée la parole du maitre se module. Le langage est instrument de domination symbolique. Occuper une position symboliquement dominante offre l'opportunité de rappeler aux règles de bon fonctionnement du langage un locuteur qui occupe une position moins forte. Ainsi en est-il du parent qui rectifie la phrase syntaxiquement incorrecte de son enfant ou de l'enseignant qui reprend son élève. A chaque fois que le "dominant" exerce ce droit de rectification, il tend à renforcer sa position. C'est sur cette relation que se fonde la légitimité de l'enseignant. Or, il est inutile de rectifier le discours ou la nature de l'apprentissage si l'évaluation et sa forte dimension symbolique ne sont pas corrélativement modifiées. Le premier écueil à éviter réside donc dans le statut que l'on donne à la variation orthographique de l'enfant.

La faute d'orthographe doit disparaitre. Dans les écrits des enfants mais surtout dans le discours de lenseignant. Le terme de faute qui désigne l'action de faillir fut d'abord utilisé pour désigner le manquement aux prescriptions d'une religion qui appelle une sanction rédemptrice. Lui préférer le terme d'erreur permet de se détacher de la notion morale et du châtiment qu'elle implique. Ainsi, erreur prend ses racines dans le verbe errer. L'erreur se limite donc au fait d'emprunter un mauvais chemin. Le choix d'un terme pour désigner la variation de l'élève n'est pas innocent. Introduire une rupture symbolique dans le langage de la classe contribue de manière fructueuse à installer le climat favorable à l'apprentissage. En effet, une faute se sanctionne (par un penalty au football) alors qu'une erreur, même si elle peut avoir des conséquences, se répare. Responsable mais pas coupable, pourrait-on dire.

Dès lors qu'est admis le terme d'erreur pour désigner la variation de l'enfant, l'orthographe supporte d'être enseignée de manière constructiviste. La représentation que l'enfant se construit du système ne correspond pas aux descriptions théoriques, ni même à la représentation de l'enseignant. L'erreur est alors le matériau par lequel chacun peut comprendre ses faiblesses et apprendre. Elle n'est qu'une déviation sur le chemin de la formalisation. C'est en objectivant le plus possible cette déviation que l'apprenant peut progresser. Cette objectivation, l'enfant en difficulté d'apprentissage ne peut la réaliser que dans la découverte collective du fonctionnement du système. On voit ici que toute attitude moralisatrice peut nuire à cette recherche du bien écrire en exerçant sur l'activité formalisatrice de l'apprenti une censure hors de propos.

Dans cette perspective, l'approche traditionnelle de l'orthographe nécessite d'être inversée. Fort longtemps la dictée n'a été, et est encore, un exercice de reproduction. L'enseignant  transmettait oralement un texte (d'auteur si possible)conçu pour être lu, la note sanctionnant les écarts à la reproduction fidèle de l'œuvre. La dictée préparée ajoute à l'exercice un louable effort de mémorisation. Or, le but n'est pas de faire reproduire un système graphique préexistant mais de permettre à l'apprenant de modifier graduellement sa représentation pour parvenir à en découvrir, à son rythme, le fonctionnement.

L'exercice de la dictée ne constitue pas un cadre favorable à l'évaluation de l'orthographe. Avant de proposer quelques pistes pour l'évaluation de la compétence orthographique, nous allons survoler les quelques inconvénients inhérents à la dictée.


- La dictée n'est en rien un exercice d'orthographe. Elle est un mode de transmission du texte, l'exercice orthographique ne commençant qu'à la fin de la transmission, c'est-à-dire lors de l’écriture.

- Le caractère extrêmement anxiogène de la dictée est générateur d'erreurs. La situation de dictée fait donc se dégrader la performance orthographique de l'élève.

- La pression normative, l'attente des familles, transforment l'exercice de la dictée classique en une douloureuse expérience. La note est attendue, commentée, parfois de manière maladroite. La pression normative qui s'exerce alors participe à la charge anxiogène liée à l'exercice.

- La maitrise de la norme à atteindre est un moteur de l'apprentissage, un but. Elle sert de jauge à l'apprentissage, pas de censure. Or la pratique de la traditionnelle dictée hebdomadaire est une censure, si n'est pas mené en amont un apprentissage objectif en lien avec le mode d'évaluation.


La dictée reste cependant une situation d'apprentissage fort intéressante. Elle n'est simplement pas adaptée à une évaluation rigoureuse de l'orthographe et n'en constitue qu'une évaluation par trop rigoriste qui tend à renforcer la représentation dominante liée à l'orthographe.


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