Aspct linguistique

La langue est une variation organisée. En effet, le langage est doublement structuré. Le premier niveau de structuration est naturel. Les locuteurs en conversant construisent eux mêmes leur langue. Pour se comprendre, ils adoptent un code commun pour lequel nulle grammaire n'est écrite. Le code est élaboré en situation, et si une communauté s'isole, le code évolue. Ainsi en est-il des variantes Quebecquoise ou Africaines du français qui n'ont pas subi les mêmes évolutions que le français de France. Ces évolutions n'empêchent pas l'intercompréhension. Cela montre que les règles internes de fonctionnement laissent au locuteur* une marge de manoeuvre pour s'exprimer. Ainsi, pour dire quelque chose, il y a souvent plusieurs solutions. Par exemple :

il est sous la table

il est dessous la table

Dans cet exemple, une solution parait correcte et l'autre moins, toutes deux cependant sont parfaitement compréhensibles. Aussi bien pour le lexique que pour la syntaxe, le choix des mots ou de la structure des phrases n'est a priori pas totalement contraint. Le fonctionnement interne de la langue est en fait extrêmement souple et pour dire une chose, on a toujours le choix. Ce constat est important car il indique que la langue orale ou écrite est faite de constantes dans son fonctionnement mais qu'elle est un matériau souple et malléable. La variation* est donc bien tolérée par le système. Cela est vrai aussi pour l'orthographe qui comporte des zones de fluctuation. Les rectifications de 1990 () ont d'ailleurs mis fin à certaines de ces fluctuations dans des zones totalement marginales de l'orthographe. Le simple fait qu'il est nécessaire de la rectifier montre que l'orthographe est un système en perpétuelle évolution et que cette évolution lui est inhérente.

L'orthographe est un outil partagé de communication. Lorsqu'un peuple ou une nation adopte une écriture, la nécessité de l'intercompréhension entre les scripteurs  implique une instance de régulation. Cette instance est d'autant plus nécessaire que la zone de diffusion de l'écriture est vaste. L'état, mais aussi les professions concernées (scribes, imprimeurs, enseignants ) exercent donc une influence sur l'évolution de l'écriture. Il se crée des normes dont la fonction est de réguler la production et d'assurer la diffusion sans équivoque des contenus des textes. Cela est particulièrement indispensable lorsque l'ouvrage diffusé est un texte de loi. La norme orthographique répond donc à des impératifs techniques de communication. Dès lors que le canal de communication n'est plus l'oral et que les deux interlocuteurs ne sont plus en présence l'un de l'autre, le message pour être reçu correctement doit bénéficier d'un encodage uniformisé, normé. Cet aspect du code est fondamental. Il fonde la nécessité pour tous d'apprendre la même écriture qui répond aux mêmes règles. Il est rarement travaillé en classe tant il semble évident. Or, il est indispensable que l'enfant intègre le fait que l'écriture est un code et cela peut passer par l'utilisation ludique de codes variés, basés sur l'alphabet ou d'autres systèmes d’écriture () afin que soit montrée la nécessité de la norme sur le plan technique. 

Ce simple respect du code constitue le niveau le plus objectif de l'orthographe dont le fonctionnement est étudié par les descriptions théoriques. Nous parlerons pour ces descriptions de norme objective. Ces descriptions adoptent cependant des points de vue différents les unes des autres et donc donnent du système orthographique une vision orientée. Ce faisant, elle tente une description objective mais pas nécessairement uniforme. On le voit donc, même sur le plan technique, il n'y a pas de vérité définitive (). Cette richesse des théories est un avantage pour l'enseignant car elles donnent d'un même système des visions nuancées qui décrivent autant d'approches différentes avec les élèves. C'est la nature même du système qui permet ces approches multiples. En effet, un système simple, sans articulation interne, ne nécessite pas de descriptions multiples et complexes. Dans la complexité du système réside la variation interne au principe de l'écriture. L'orthographe, trop souvent présentée comme une masse monolithique et intangible de règles absolues, organise la variation de manière intrinsèque.

Il existe une variation interne au système orthographique qui fait appel simultanément à plusieurs principes d'écriture(). Le principe alphabétique est prépondérant mais il coexiste notamment avec le principe morphographique (transcription de morphèmes : éléments de construction des mots) et avec le principe logographique (transcription de lexèmes, de mots). Fondamentalement, le premier transcrit des phonèmes* c'est à dire des unités non significatives alors que les unités transcrites par les deux autres sont significatives. Entre les graphèmes* qui transcrivent les sons et les autres, se situe une articulation du code écrit, c'est à dire qu'ils ne relèvent pas d'un même processus d'interprétation. En lecture, les phonogrammes* doivent être assemblés pour accéder au sens du mot alors que les graphèmes d'un autre type se lisent directement, la forme graphique renvoyant à une signification (le S du pluriel par exemple renvoie directement à l'idée de pluralité). En conséquence, et là réside la grande difficulté de son apprentissage, l'orthographe est un système variant. Cet aspect, cependant, n'est pas le plus délicat de l'apprentissage. En effet les conséquences de la dimension sociale de l'orthographe sont plus gênantes pour l'apprentissage que la simple compréhension du système dont la logique interne répond à une certaine logique et est enseignable.

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