L'argument historico culturel

La domination sociale nest pas une fonction politiquement correcte pour lorthographe. Aussi les groupes sociaux qui tirent symboliquement avantage de cette situation défendent lorthographe avec zèle. Un des arguments fréquemment avancé pour "protéger" l'orthographe de la perversion et ainsi la sauvegarder des prétendues attaques dont elle est victime, est sa pérennité historique et culturelle.

Ce système d'écriture qu'on nous fait paraitre comme immuable a subi et subit encore des modifications (la dernière réforme date de 1990). Or chaque tentative de rationalisation du système déclenche une polémique. Aux dires de ses défenseurs, l'orthographe fait partie du patrimoine culturel éternel de la nation française et cela la rend intouchable. Cela est rigoureusement faux. Si l'écriture est bien part intégrante de la culture d'une nation, sa forme est en perpétuelle évolution. Dire que l'orthographe actuelle est un patrimoine culturel est donc faux puisqu'elle est, au regard de l'histoire, extrêmement récente et si l'on devait suivre les arguments de ces puristes nous devrions encore parler gaulois ou écrire latin. En revanche le processus d'évolution de l'écriture est une caractéristique de la culture d'un pays. Selon que l'écriture est récente ou ancienne, elle est le jeu d'une évolution qui l'éloigne de ses principes de base. L'écriture chinoise, basée sur un accès direct au sens par la lecture de signes logo-syllabiques* a progressivement intégré des phonogrammes. Le français écrit a suivi la voie inverse, de la pure phonographie vers une part d'idéographie*. Le changement est présent dans toutes les écritures qui ont plusieurs siècles. On ne peut donc arguer du bien fondé de l'immobilisme pour un phénomène en perpétuelle évolution. Cet argument cependant fait mouche. La France et les Français sont attachés (Faut-il dire viscéralement ?) à leur orthographe. Certaines personnes dont la maitrise orthographique est plus que limitée la défendent même parfois avec virulence. D'où vient donc cet engouement tout relatif chez des individus qui ont pourtant souffert d'un apprentissage douloureux des règles et de leurs exceptions ?

Pour que des utilisateurs aux performances modestes défendent un système d'écriture complexe et difficile à apprendre, il faut nécessairement que ce système ait été instrumentalisé en un outil de domination symbolique. On s'attendrait chez ces utilisateurs à des réactions de révolte or il n'en est rien. Au contraire ceux qui ont souffert par l'orthographe ne sont pas les moins empressés à réclamer que soient appliquées à leur enfants les bonnes vieilles méthodes qui, pourtant, n'ont pas fait leur preuve. Au même titre que le langage oral, l'écrit et l'orthographe qui y est incluse participent à une forme de domination sociale ou plus précisément à la reproduction de cette domination. Si les groupes dominants de la société maitrisent l'écrit et son corollaire, l'orthographe, et que, par contraste, les groupes dominés ne le maitrisent pas, l'écrit devient un marqueur de l'appartenance sociale. Sa maitrise constitue alors un enjeu d'importance. Un employeur, un supérieur hiérarchique, un enseignant exerce et renforce son pouvoir symbolique sur le candidat, le subalterne ou l'élève dès qu'il est en position de le rappeler à la règle commune. Dans l'enseignement le pouvoir symbolique de l'enseignant est fort. Il n'est pas utile de le renforcer par un comportement de domination qu'on exercerait au moyen de l'orthographe. Cela est d'ailleurs vrai pour toutes les disciplines d'enseignement. Il convient donc pour l'enseignant d'adopter avec prudence certaines postures d'enseignement s'il veut permettre à ses élèves une acquisition efficace de la compétence orthographique. La domination symbolique qu'on peut exercer par le langage ou simplement par l'évaluation du langage d'autrui constitue un enjeu stratégique majeur pour l'apprenant. Lui donner les moyens de maitriser les outils du langage écrit (comme oral) c'est lui fournir les clés d'une part de la domination symbolique qu'il peut subir. Encore faut-il que la classe ne reproduise pas la domination symbolique que la société a instauré.


Il existe donc deux niveaux de normalisation dans l'orthographe. Le niveau objectif est constitué de règles de fonctionnement interne et le niveau subjectif est externe au système, fait de jugements, d'appréciations portés sur l'écrit ou sur son auteur.

L'orthographe est un code qu'il faut apprendre à écrire de manière univoque et dont les principes internes ne sont pas univoques. Il est évident que cet objectif recèle deux propositions contradictoires. D'un coté, une norme non négociable impose un apprentissage rigoureux, de l'autre un système variant implique un apprentissage complexe. Cette ambivalence du système orthographique est un objectif d'apprentissage qu'il faut inscrire au programme de la classe. Elle en fait un objet d'étude et d'apprentissage tout à fait passionnant que les enfants découvrent avec plaisir, à condition que ne se greffent pas sur cet apprentissage, des évaluations symboliques trop fortes.

L'importance symbolique du second niveau d'évaluation élude fréquemment le premier. Cette réalité a des conséquences sur le plan didactique car la représentation que l'apprenant se construit du système est un problème central de l'apprentissage. Il convient donc de mettre en oeuvre des outils pédagogiques qui assurent la maitrise technique du système sans reproduire les représentations sociales dominantes liées à l'orthographe, une pédagogie du code socialement non violente en quelque sorte.


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