Interfaces
Les décalages dont il vient d'être question s'expliquent aisément. L'apprentissage de l'orthographe s'effectue par palier. La maturation de la représentation permet à l'enfant de mieux comprendre le fonctionnement du système. C'est donc une complexification progressive qui s'opère.
L'intégration de l'orthographe se fait par la mémorisation d'un ensemble de formes graphiques. L'aspect visuel est essentiel. Chaque mot possède une signature visuelle pratiquement unique. La mémorisation de ces signatures représente une part importante de l'acquisition orthographique mais ne suffit nullement à en rendre compte dans sa totalité. La compétence orthographique ne se limite pas au stockage des formes sinon une lecture attentive et régulière suffirait à l'intégrer. L'ensemble des formes est structuré par un réseau de relations analogiques. Des règles générales de transcription assez stables, la fréquence d'emplois de certains mots permettent une structuration efficace de l'ensemble des formes stockées. Ce niveau de connaissance plus ou moins intuitif ne suffit cependant pas non plus pour parvenir à une compétence optimale. Celle-ci se développe par la prise de conscience des relations qui existent entre les formes graphiques (ou leurs composants) et les différentes unités constitutives de la langue().
La conscientisation des relations formelles entre la langue et l'écriture s'opère par paliers successifs. Pour définir les différentes étapes de l'acquisition Jean Pierre Jaffré utilise le terme d'interfaces métagraphiques. La notion d'interface renvoie à la relation que l'apprenant instaure entre une série de formes et le domaine linguistique qui les concerne : par exemple les relations entre phonèmes et graphèmes. L'adjectif "métagraphique" “désigne l'ensemble des activités mentales destinées à comprendre et expliciter la raison d'être des traces graphiques” (). Il est donc question ici, non pas de règles de grammaire écrites dans un manuel, mais bien de ce qu'on pense qui se passe dans le cerveau des apprentis ou des experts. L'apprentissage de l'orthographe passe donc tout à la fois par le stockage de formes graphiques et par l'établissement de relations métalinguistiques conscientes entre ces formes et la langue. Cela n'est pas sans conséquences pédagogiques. En effet, le stockage des formes exige une fréquentation de la langue écrite en lecture comme en écriture. L'établissement de relations métalinguistiques demande que soient régulièrement menées des activités de réflexion sur la structure de la langue et de l'écriture(). C'est au travers de ces activités mentales qu'elles soient suscitées par l'école, la famille ou l'environnement, lors d'activités collectives ou individuelles, que se mettent en place les diverses interfaces métagraphiques. La qualité des informations qui traversent les interfaces est un atout majeur de l'apprentissage et la prescription de la règle par l'enseignant n'est pas un facteur de qualité.
Les différentes interfaces qui se mettent en place pour parvenir à une maitrise experte sont :
L'interface graphique gère les tâches afférentes à la forme du matériau graphique, forme générique des lettres notamment et reconnaissance des différents types de caractère…
L'interface phonographique gère les relations entre les composantes graphiques et phoniques. Elle opère au niveau de la relation graphème - phonème mais aussi au niveau des syllabes et des mots. La sélection des homophones par exemple pose un problème que gère cette interface.
L'interface lexicale est essentielle à la construction de la compétence orthographique. La langue est pour le jeune apprenant une représentation du monde. Le mot oral est une représentation de l'objet qu'il désigne. L'acquisition d'une forme graphique ajoute une représentation de l'objet. Cette acquisition lexico-orthographique s'opère par une tentative de mémorisation globale des mots. Fort peu économique cette méthode est par la suite abandonnée au profit du déchiffrement alphabétique que l'éducation fait acquérir. Mais la compétence lexicale reste un atout majeur pour l'expert. En effet le mot connu fournit une entrée orale qui autorise par la suite son écriture. La connaissance du mot oral est donc un préalable qui conditionne son écriture.
La construction d'une interface morphologique permet d'entrer dans la structure interne des mots. La morphologie (du français notamment) “accroit la flexibilité de l'expression linguistique […] au prix d'une complexité plus grande” (). La morphologie est le lieu de rencontre entre le vocabulaire et la grammaire. Ses constituants internes permettent de rattacher chaque mot à différents paradigmes : c'est le domaine du vocabulaire. D'autre part la fonction des mots et leur rapport entre eux les modèlent. Les marques de pluriel, les désinences verbales … sont autant d'indices morphologiques d'origine grammaticale. La maitrise de ces marques à l'écrit dépend de la compétence de l'apprenant. Si les structures lexicales et grammaticales nécessaires ne sont pas mises en place au préalable, l'acquisition des marques graphiques ne peut se réaliser efficacement.
L'interface morphosyntaxique complète l'interface morphologique. C'est le lieu où les relations entre les variations morphologiques et le contexte syntaxique s'associent. L'écriture des marques réparties au long de la phrase, comme celles du pluriel, exige un contrôle des marques graphiques en fonction du contexte. Cette compétence ne s'exprime qu'avec une certaine maitrise des structures internes de la phrase.
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