La posture normative
Le rapport que l'usager entretient avec l'orthographe peut se définir selon deux relations de sens :
La relation au système de transcription est déterminée par ce qu'il est convenu d'appeler la représentation intériorisée de l'orthographe. Cette représentation est un ensemble de savoir qui rend compte du fonctionnement du système. Cette une théorie personnelle sur l'orthographe dont l'écart avec les descriptions savantes peut être grand. La relation à la norme prend en compte les représentations sociales que le sujet à incorporer sur l'orthographe : croyances, stéréotypes, légendes plus ou moins acceptées … Une part de ces croyances sont largement partagées par l'ensemble de la population française, une autre part est personnelle. Ces croyances sont construites dans l'interaction sociale au sein de la famille, des groupes d'enfants et bien entendu de l'école. Ces deux relations placent l'individu dans un certain état cognitif que l'on nomme aussi compétence. Au moment d'agir cet état, cette compétence permet au sujet d'agir dans une certaine illusion de l'improvisation. Cette improvisation est le fruit d'une certaine posture, du positionnement mental du sujet pensant par rapport à l'objet de sa pensée, pour nous l'orthographe.
Utiliser le terme de posture pour une "attitude" mentale est une image facilitant la compréhension des comportements des individus face à l'orthographe. Une posture est une attitude plus ou moins figée d'où va pouvoir se développer une dynamique, un geste ou une série de gestes. Le sport fournit bien des exemples de postures initiales efficaces qui ont d'ailleurs beaucoup évolué dans le temps. En course à pied par exemple, la posture initiale est différente selon que le coureur s'apprête à disputer un 100 mètres ou une course de fond. De même pour les nageurs, selon que la course se déroule en position ventrale ou dorsale … En compétition, les postures sont codifiées mais c'est leur grande efficacité qui les a faites adopter. S'agissant d'orthographe, la disposition intellectuelle de l'utilisateur avant qu'il ne commence à utiliser son stylo est essentielle.
En écoutant attentivement ce que les enfants et les adultes nous disent de l'orthographe, il apparait quatre types de représentation des graphèmes* :
a - L'obligation immanente : “Cette lettre est là parce que ça toujours été comme ça, c'est obligatoire.”
b - L'esthétique de l'écriture : “Cette lettre est là parce que cela fait plus joli, plus complet.”
c - L'obligation graphique : “Cette lettre est là parce qu'il y a une autre lettre qui nous oblige à l'écrire.”
d - Le sens véhiculé par les signes écrits : “Cette lettre est là parce qu'elle veut dire ceci ou cela.”
Ces explications apportées à la présence de lettres dont la valeur phonique est nulle se combinent dans le discours des enfants mais aussi des adultes. Les explications (a) et (b) se réfèrent à l'aspect socialement obligatoire d'une orthographe correcte, outil de rectitude sociale et de culture. Les explications (b) et (c) se réfèrent aux règles internes du système et au sens véhiculé par le message, c'est à dire à la dimension communicative de l'orthographe. La recherche d'invariants dans les discours montrent deux grands types d'attitudes face à l'orthographe où les différentes explications apparaissent dans des proportions variées. Ces deux postures types jouent sur l'ambivalence de l'orthographe :
- une posture fait plus appel aux explications (a) et (b), où l'aspect arbitraire de l'orthographe et sa charge culturelle sont dominants.
- une autre posture joue essentiellement sur les explications (b) et (c), où l'utilisateur prend en compte les deux aspects normatifs (technique et contrainte sociale) de l'orthographe.
Deux instances sont à l'oeuvre : une instance rationnelle qui explique le fonctionnement du système orthographique de manière scientifique et une instance culturelle qui justifie le fonctionnement du système selon des valeurs morales, historiques ou culturelles.
Les deux postures que l'on peut définir se différencient donc essentiellement sur un seul point d'importance : la proportion que chaque instance occupe dans la représentation de l'élève. La plus normative de ces postures limite l'instance rationnelle à la portion congrue (seuls le phonographique et les marques du pluriel sont expliquées) et le reste du système relève de l'arbitraire le plus total. Chez les autres enfants l'instance rationnelle rend mieux compte du fonctionnement du système et la part culturelle sert de modérateur.
Les conséquences de ces attitudes lors de l'écriture ou de la relecture sont forts variables. Si l'on demande à des enfants de cycle III d'interpréter des mots comme “Kiabi” (magasin de vêtements), “Délisse” (marque de produits laitiers) ou encore “prisunic” (grande surface), la posture la plus normative conduit soit à ne pas prendre en compte la variation orthographique que les mots contiennent, soit à ne pas les interpréter à cause de la présence de cette variation. Plus précisément, le jeu de mot que la variation orthographique fait naitre n'est pas perçu et le lecteur perd donc une part du sens que l'expression recèle. En revanche, la posture la plus rationnelle permet d'accéder au sens dénoté comme au sens connoté de l'expression. Le lecteur peut alors choisir le sens adapté à la situation et tirer avantage de sa compétence orthographique dans la construction du sens de l'expression. Ces lectures, somme toute marginales, révèlent la sensibilité des enfants à la variation orthographique et ceux adoptant la posture la plus normative, c'est-à-dire optant pour l'attitude la plus obtuse vis-à-vis de la variation, se trouvent en difficulté lorsqu'il s'agit de déterminer la validité d'une graphie*. La principale conséquence d'une posture très normative qu'adoptent de nombreux enfants est une réelle insécurité ressentie face à l'écrit et particulièrement à sa dimension orthographique. Toujours placés en dépendance d'une instance sociale protéiforme, l'apprenti éprouve d'importantes difficultés à objectiver le fonctionnement du code. Ainsi, la posture adoptée par l'enfant influe de manière importante sur son comportement vis-à-vis de l'orthographe. Dans ces conditions il ne sert à rien de tenter de développer les capacités techniques si n'est pas modifié aussi le rapport au code et à ses contraintes sociales.
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