L'écriture de la langue

Regarder l'orthographe comme une simple transcription de l'oral, c'est nier le fait que l'orthographe transcrit directement divers éléments constitutifs de la langue. Les alphabets originaux, et plus particulièrement l'alphabet grec se sont appuyés sur une analyse fine de la langue orale déterminant ainsi les unités distinctives de la langue, les phonèmes. Or l'évolution conjointe mais à des rythmes différents de l'oral et de l'écrit a fait que les unités transcrites par l'orthographe se sont diversifiées. En effet, la description que N. Catach() propose indique que trois types d'unités sont transcrites : les phonèmes (les sons de la langue), les morphèmes (unités de sens de taille inférieure au mot) et les lexèmes (unités lexicales).


Les grands domaines de la description de N. Catach


Hiérarchisation des graphèmes


La description de Catach tente de rendre compte in extenso de toute la substance graphique du français. Pour ce faire il a fallu classer les différents graphèmes selon quatre critères : la fréquence, la cohésion, le rapport direct avec le phonème, et la rentabilité. De ces quatre critères, parfois contestés pour la définition des graphèmes, nous en retiendrons plus particulièrement deux qui sont intéressants sur le plan pédagogique : la fréquence et la productivité.

Le critère de fréquence est intéressant sur le plan pédagogique car il indique les priorités. En deçà d'un certain seuil de fréquence, une graphie cesse d'être significative. C'est le cas notamment des mots d'origine étrangère. Faut-il faire une leçon sur le [u] de foot-ball ? La recherche de rentabilité pédagogique indique qu'il faut d'abord s'intéresser aux parties les plus stables du système graphique. Ce travail est grandement fait de manière implicite au cycle II, car c'est par les unités de grandes fréquences et de grande stabilité que l'enfant décode ses premiers messages. Il serait vain de débuter les apprentissages par les unités les moins fréquentes. Il y a une contradiction cependant. En effet, les erreurs d'orthographe sont faites généralement sur les graphèmes de moindre fréquence. L'enfant aura naturellement tendance à aligner la graphie qu'il réalise sur la graphie la plus fréquente. Inversement, une fois pris au piège de la fréquence le doute orthographique va générer des graphies de moindre fréquence là où le graphème le plus souvent tracé serait le graphème correct. Le critère de fréquence est donc un piège. Il sert en fait à éliminer de la programmation de la classe des graphèmes totalement détaché du système. A l'inverse, il n'est pas utile de préparer des séquences sur l'écriture de certains phonèmes qui sont représentés à 100% par le même graphème. Un tri simpose. ()

Si la fréquence peut être un piège, il convient de lui adjoindre le critère de rentabilité. Il permet en effet de justifier nombre de graphèmes et d'en indiquer l'utilisation. Il est abondamment utilisé par les enfants pour justifier la présence de morphogrammes indiquant l'appartenance à une série lexicale. Ainsi, le D de "grand" existe parce qu'on peut faire grande…”. Ce critère est donc un élément de programmation dans la construction du projet. Le critère de rentabilité s'appuie sur le lien d'ordre sémantique ou grammatical que le graphème crée. Par exemple, le graphème EAU de "chevreau" ne représente que 3% des réalisations graphiques du phonème [o] mais sa rentabilité est importante car il permet la création de mots dérivés : chèvre / chevreau Il en est de même pour le graphème AI peu rentable dans la création lexicale mais dont l'importance est majeure dans la conjugaison à l'imparfait et au conditionnel.

Le critère de cohésion permet de délimiter les graphèmes complexes, composés de plusieurs lettres. Ainsi une mode pédagogique a incité au travail sur le costume des sons. Les lettres finales à valeur zéro étaient fort peu judicieusement mariées au phonogramme qui les précédait : dans "chaud" et dans "saut" la séquence "-AUT" et la séquence "-AUD" ont en commun le digramme AU, les lettres T et D faisant référence à des mots d'une même famille lexicale, "sauter" pour l'un "chaudière" (par exemple) pour l'autre. Le graphème AUT n'existe donc pas puisqu'il n'a aucune stabilité et qu'il n'y a aucune cohésion entre la chaine AU et le T. Idem pour AUD. Le critère de cohésion permet donc de déterminer la frontière de certains graphèmes composés de plusieurs lettres.

Si une unité graphique perd le contact avec sa réalisation orale, elle tend à sortir du système. Ainsi le P de "temps" permet de faire "temporel". Il reste donc une certaine relation avec l'oral puisque ce P est clignotant : parfois il est prononcé. De même, dans le verbe, le S de la première personne du pluriel "nous avons", est systématiquement associé au phonogramme ON qui le précède. Il y a encore contact avec l'oral. En revanche, le S de "souris" est définitivement détaché de l'oral. La proximité de l'oral charge donc le graphème de sens. Plus il est proche de l'oral, plus le graphème contribue à véhiculer du sens. Plus il s'en éloigne, moins il en véhicule. Une unité totalement détachée de l'oral est une lettre "morte" du point de vue sémantique.

Ces quatre critères permettent un classement des divers graphèmes en grandes catégories. La principale catégorie qui représente environ 80 % des lettres écrites est la catégorie des phonogrammes. Vient ensuite la catégorie des morphogrammes, puis les catégories marginales du système, les logogrammes, lettres historiques et lettres doubles. D'après N. Catach les deux dernières catégories ne relèvent pas d'un enseignement raisonnable en école élémentaire. Elles sont cependant rapidement décrites ci-dessous.

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