Stratégies.

Acquérir des stratégies


Nombre d'enfants connaissent les règles et ne parviennent pas à les appliquer. La connaissance des règles est insuffisante pour fonder une bonne orthographe personnelle et n'aide en rien l'élève qui ne parvient pas à les appliquer au bon endroit, au bon moment, et de manière systématique. Pour être performant le scripteur (celui qui écrit) doit exercer un contrôle permanent sur les graphies qu'il produit. Ce contrôle se met en place très progressivement. L'idée qu'il doit être effectif est généralement présente chez tous les enfants. C'est sa mise en œuvre qui est problématique. Chez les jeunes scripteurs, il s'effectue le plus souvent a posteriori et l'enjeu est de le faire passer sous un mode semi-automatique. L'acquisition et l'entrainement de cette capacité de contrôle se fait selon plusieurs modalités. L'acquisition d'une règle ne se limite pas à l'énoncé stricto sensu de la règle mais intègre aussi la procédure de son application, le contexte graphique et/ou morphosyntaxique dans lequel elle intervient.

L'ensemble des procédures permettant d'appliquer la règle, de trouver le lieu d'une erreur ou encore de trouver quelle règle n'a pas été appliquée en un lieu donné relève de la stratégie du scripteur. Il y a des procédures spécifiques pour des règles données. Elles font partie intégrante des règles en question. L'application de ces procédures dépend exclusivement de l'action du scripteur sur son texte. Il convient donc de permettre aux apprentis d'acquérir des stratégies en matière de contrôle du texte. De quelles stratégies s'agit-il alors ? Elles concernent trois actes essentiels dans l'acte graphique: anticiper l'erreur, chercher l'erreur, corriger l'erreur. L'anticipation de l'erreur a lieu au cours de l'acte graphique ou, plus précisément, avant l'écriture. L'anticipation est la mise en œuvre d'une vigilance quasi permanente et relève d'une certaine méthodologie de l'acte graphique. Les deux autres domaines se situent à l'instant de la relecture et prennent place dans une méthodologie du toilettage orthographique des textes.

L'acquisition de stratégies orthographiques est un processus long. Il demande aux enfants d'entrer dans des logiques graphiques et morphosyntaxiques complexes. La démarche vise donc à obtenir des résultats à long terme et est d'autant plus efficace qu'elle est menée sur le cycle entier. Une représentation très répandue consiste à voir dans l'orthographe l'application stricte d'une suite de règles. Or chacun peut trouver sa méthode d'application ou du moins sa façon de le dire et de le faire. S'il y a un seul résultat, il n'y a pas qu'une voie pour y parvenir. Le temps est donc nécessaire à chacun pour sortir d'une logique strictement phonographique et entrer dans une logique morphographique. La mise en place de stratégies concourt en effet à mettre en place l'interface morphographique (i). Ce bouleversement relatif au sein de la compétence demande à l'apprenant d'adopter de nouvelles postures mentales, d'intégrer des automatismes que la simple mémorisation des règles ne suffit pas à établir.

L'entrainement de ces habiletés a deux exigences essentielles :


Dire sa démarche


Pourquoi faire verbaliser sa démarche à l'enfant ? La première justification tient dans une prise de conscience par l'apprenant de ce qu'il fait et de ce que les autres font. La verbalisation du raisonnement est le raisonnement lui-même. Sans ce passage par le verbal, le raisonnement n'existe pas de manière formelle. La pensée ne se construit qu'au travers du langage et celui-ci est l'expression de celle-là. Le meilleur moyen d'exprimer son raisonnement est donc de dire ce qu'on fait (ou ce que l'on a fait) et de préciser pourquoi on va le faire. L'automatisation du contrôle orthographique de l'écriture passe, sur le plan pédagogique par une phase d'explicitation des démarches et donc par une verbalisation des stratégies qui implique que soit énoncée la règle concernée, assurant ainsi un renforcement de la dite règle. Par conséquent l'élaboration de la stratégie par l'élève va de pair avec l'approfondissement de la maitrise des connaissances requises et ne peut donc être déconnectée de celui-ci. Un première contrainte apparait immédiatement : l'élaboration de stratégies se mène en parallèle avec l'acquisition des connaissances et non, comme on pourrait le penser, ultérieurement, même si, dans la pratique de la classe on est bien obligé de faire l'un puis l'autre. Une programmation assignant, par exemple, une année à l'acquisition des règles et une autre à celle des stratégies est vouée à l'échec au moins pour certains élèves.

Dans cette acquisition le conflit socio-cognitif est essentiel. Il s'agit de confronter les savoirs de chacun aux pratiques de tous. Cela implique une certaine organisation pédagogique. L'enseignant doit alors favoriser la prise de parole des enfants et mettre son propre discours sur le code orthographique en sommeil. Il (elle) n'est plus que le régulateur du débat et l'éventuel garde-fou du dialogue. Pour que chacun s'exprime sur un sujet aussi sensible que l'orthographe, il faut que les conditions matérielles et affectives soient adaptées. Sur le plan matériel l'effectif du groupe conditionne nécessairement le temps de prise de parole. Favoriser la prise de parole peut donc passer par un travail en groupe restreint. L'enseignant est ici seul juge de ce qui convient le mieux au groupe dont il a la responsabilité. Cependant le statut normatif de l'orthographe a une certaine incidence sur la prise de parole et sur l'organisation de la classe.


Partager la norme


Dialoguer, argumenter en classe est une activité extrêmement formative. Quand le sujet du débat est une règle orthographique, la tentation normative devient forte. Certes l'objectif du partage oral des stratégies est effectivement de dire la norme. Mais cette norme doit s'appuyer autant que faire se peut sur des arguments rationnels. En d'autres termes, l'objectif est de faire disparaitre les justifications du type "c'est comme ça et pas autrement", la difficulté majeure étant de les faire disparaitre sans exercer de censure sur la parole des enfants.

Faire verbaliser les stratégies, c'est rechercher publiquement la norme : la dire ou la demander. La verbalisation par les élèves de leur propre stratégie autorise la confrontation des points de vue. Cela n'est pas superflu avec l'orthographe qui est une norme et donc implique une dimension sociale assez forte. L'individu prend d'autant mieux conscience de la norme si celle-ci est énoncée par ses pairs. La même règle dite par le maitre ne vaut pas son équivalent raconté par un élève. En effet, le statut de l'enseignant lui confère le droit de dicter à la classe des règlements. Il est l'incarnation d'un certain ordre, et par conséquent sa parole fait force de loi. Cette imposition quelque peu dictatoriale des règles est à même de perturber certains enfants en rupture de respect de l'autorité. Dès lors qu'elle vient de ses semblables, la règle linguistique prend toute sa dimension : c'est le corps social qui l'exige et non plus l'enseignant, représentant d'une autorité aux contours plus que flous. L'oralisation des règles par les élèves se pare ainsi d'une dimension symbolique importante. Dès lors que leur légitimité est fondée socialement, les contenus et stratégies proposés sont acceptables par tous. Il reste à déterminer les conditions optimales de leur mise en œuvre.

Le groupe classe présente l'avantage d'une mise en place rapide et efficace des activités et des attitudes et l'inconvénient de favoriser l'autocensure des élèves les plus timides ou les plus complexés face à la représentation qu'ils ont de leur compétence. Cet inconvénient se réduit considérablement avec des groupes plus homogènes et plus restreints d'élèves. Reste à définir le critère d'homogénéité. Le "niveau" en orthographe n'est pas toujours le plus pertinent. Il faut garder une grande prudence à ce sujet car il conduit à constituer des groupes très performants d'un coté, où ce type d'activité n'est pas indispensable et des groupes où elle ne fonctionne pas tant le niveau de connaissances est insuffisant(ii). La compatibilité de caractère est un critère plus essentiel que la compétence. Un groupe qui fonctionnera correctement permettra des avancées plus rapides qu'un groupe plus compétent où l'ambiance est détestable et les tentatives de prise de pouvoir symbolique plus nombreuses (iii)…

En aval de la mutualisation des stratégies qui permet à chacun de se forger une stratégie personnelle, ou tout du moins lui offre un accès aux différentes stratégies possibles, intervient un travail plus personnalisé qui consiste d'une part à mettre en œuvre les apports du travail collectif et d'autre part à les confronter aux difficultés individuelles.


Anticiper l'erreur


Poser des questions


Pour éviter que n'apparaissent des censures et, ce qui est plus grave, des attitudes d'autocensure, il est plus efficace de faire s'interroger les élèves sur ce qu'il convient de faire. La démarche consiste alors à s'interroger sur la graphie à donner au mot. Par exemple, on peut se demander s'il faut mettre une marque de pluriel au verbe dans la phrase : "Je les trouve." La formulation de la question met en exergue le rapport sujet-verbe ce qui indique que le questionneur a déjà conscience de la problématique de l'accord. La même question soulève aussi le problème de l'identification du sujet et de sa confusion possible avec le pronom complément d'objet direct placé avant le verbe. Le débat qui s'instaure après ce type de question ne peut qu'être fructueux car il suscite des justifications grammaticales à la graphie qu'il convient d'adopter pour respecter la norme. Selon que l'on fera poser la question avant d'écrire ou après, la stratégie visée sera différente mais l'apport de contenus orthographiques sera le même. Cela fait donc deux occasions d'affermir le même contenu, la même leçon, une fois en travaillant l'anticipation, une fois en travaillant la relecture. Nous proposons ci-dessous deux types de dictées, exercices ouverts que chacun adaptera à la situation de sa classe et qui sont pareillement valables pour l'anticipation et la relecture.

Deux exercices pour commencer

Le premier exercice proposé est la dictée dialoguée et nous reproduisons ci-dessous les consignes qui permettent de le mettre en œuvre. L'exercice de la dictée dialoguée instaure entre les élèves mais aussi avec l'enseignant un dialogue à propos des graphies des mots. Cette activité mime l'attitude d'autocontrôle que le scripteur doit adopter au cours de l'écriture du texte. Elle permet notamment aux enfants chez qui cette démarche est totalement absente de prendre conscience de son existence chez les autres enfants et d'en acquérir les procédures.

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LA DICTÉE DIALOGUÉE (iv)


Après lecture générale du texte, la première phrase est dite in extenso une seule et unique fois.  Par définition, l'énoncé dicté est une phrase et c'est aux élèves de lui prévoir le point qui convient :... ! ? ou : .'La ponctuation incluse (virgule, point-virgule) dépend du débit et: de l'intonation.


Chaque élève (chaque élève en difficulté) reprend la phrase à haute voix.  S'il y a erreur d'articulation ou de prosodie, on fait corriger par un autre élève.  Si personne ne répète correctement, on procède à une nouvelle lecture modèle.


La phrase ponctuée est écrite en silence d'un seul jet, sans laisser de lacunes, avec toute sa ponctuation, On pose la plume.  On se relit.


Dialogue : Toutes les questions peuvent être posées au groupe- ou au professeur et en recevoir réponse, étant entendu que

a)        questions et réponses sont publiques :

b)        “ plus personne ne connait l'alphabet ”.


On reprend la plume et on corrige (cf. tableau 1) en fonction des propositions des uns et des autres.

On repose la plume.


La deuxième phrase du texte est dite in extenso une seule et unique fois,

etc.                                                   

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La consigne b) indique que plus personne ne connait l'alphabet. Cela revient à interdire aux enfants de nommer les lettres et donc à éviter les questions du type :"Je me demande s'il y a un S à la fin de tel mot" qui doit donc être reformulée en : "je me demande s'il y a une marque de pluriel à la fin de tel mot". L'intérêt de l'exercice réside dans la richesse des situations qu'il permet d'exploiter. Dicter les devoirs devient un entrainement orthographique, noter une consigne, un résumé aussi … Les consignes mêmes de l'exercice peuvent varier. On peut en effet n'autoriser que les questions et interdire les réponses. Il est alors possible de s'interroger sur les questions posées et sur la validité des graphies proposées par les enfants en regard de ces questions. On obtient ainsi un retour sur les stratégies utilisées et sur leur efficacité.


C'est l'objectif du second exercice proposé dont le nom est : “ La phrase du jour ”. Il consiste en une dictée d'une phrase ou deux. Ce texte extrêmement réduit autorise par sa taille à s'attarder sur les graphies proposées. Si la phrase du jour peut être traitée comme une dictée dialoguée, il est possible aussi de travailler les stratégies sur le mode de la relecture. La dictée est faite, l'enseignant reproduit au tableau la phrase dans laquelle il aura introduit des erreurs faites par les enfants. Le but de l'exercice est alors de trouver ces erreurs, de les nommer, et de parvenir à verbaliser la stratégie utilisée par l'enfant et une stratégie valable pour ne pas réaliser à nouveau la même erreur. L'exercice devient cependant vite pesant si la longueur du texte dicté est excessive ou si la phase de verbalisation des stratégies est trop longue. Pour cela il convient de ne pas dicter des phrases où les difficultés orthographiques sont multiples. Le but de l'exercice est en fait de ne travailler qu'une difficulté : un accord, une forme lexicale … Un autre écueil à éviter réside dans le contenu sémantique de la phrase. Il faut rompre avec la pratique de la jolie petite phrase insipide et exploiter le vécu de la classe, les phrases humoristiques et les énoncés ambigus qui renouvellent l'intérêt des enfants. Enfin le nom même de l'exercice contient sa routine. Il faut savoir ne pas faire tous les jours, ni toute l'année la "phrase du jour". Cependant toute situation de classe peut-être prétexte à une phrase du jour. Ecriture dans le cahier de texte, mot aux parents, énoncé de problème. Plus la phrase dictée sera motivée par autre chose que l'orthographe plus la "phrase du jour" sera facilement acceptée. Au-delà de ces réserves, c'est un exercice fort productif mais pas une méthode universelle d'apprentissage du code écrit. Il fonctionne de manière extrêmement efficace dès la fin du cycle II et son domaine d'application est plutôt le début du cycle III, sans exclusive cependant.


Repérer et corriger les erreurs


Les stratégies d'anticipation, de repérage et de rectification des erreurs ne sont pas fondamentalement différentes entre elles. Simplement pour une unité orthographique donnée, elles ne s'appliqueront pas au même moment. De même, repérage et rectification ne sont guère séparables entre eux, ni ne sont séparables de synthèses à réaliser dans le cadre de la découverte du système. Pour parvenir à repérer puis rectifier une erreur, l'apprenti scripteur doit posséder d'une part le raisonnement adéquat avec un contenu adapté. Par exemple, pour vérifier un accord en nombre dans un groupe nominal, l'enfant doit repérer les marques orales (les, des …) ou sémantiques (deux, trois, plusieurs …) du pluriel, puis identifier les mots devant s'accorder en nombre et enfin sélectionner la marque adaptée au mot (S ou X). Il est évident que la mémorisation d'une règle portant sur le pluriel des mots en EAU, ne permet que de répondre à la phase de sélection de la marque. Donc, si les phases d'identification et de repérage ne sont pas explicitement travaillées en classe, il subsiste des lacunes graves dans le processus de repérage des erreurs. Cela est d'ailleurs tout aussi vrai dans la phase d'anticipation.

L'objectif pédagogique à atteindre est l'autonomie du repérage et de la correction. En matière de repérage, il est illusoire de penser que tous les enfants y parviendront. La raison en est fort simple : si le scripteur qu'il soit débutant ou expert, réalise certaines erreurs, c'est tout simplement parce que sa compétence est défaillante sur un point précis. En revanche, si le repérage des erreurs est guidé, il est possible de parvenir à une autonomie dans la rectification des formes variantes. Pratiquement, l'entrainement à la correction favorise aussi l'émergence de l'autonomie dans le repérage des erreurs.


Aller vers l'autonomie de correction


Acquérir une autonomie dans la correction de ses propres écrits pendant ou après l'écriture oblige l'apprenti scripteur à répondre à trois exigences : savoir quoi chercher, savoir où chercher, savoir comment chercher. S'il est évident qu'acquérir les bonnes stratégies nécessitent des séances d'apprentissage, il apparait tout aussi indispensable d'envisager une certaine organisation de la classe pour atteindre un objectif aussi ambitieux que l'autonomie de correction.

Si l'acquisition des stratégies de contrôle passe assurément par des moments de travail collectif, parvenir à l'autonomie implique un détachement progressif de l'individu de ces pratiques collectives. La conséquence de ce détachement auquel il faut parvenir est que l'organisation de la classe doit permettre ce passage d'une acquisition collective du code vers un contrôle individuel de celui-ci. Les enfants apprennent l'orthographe à des rythmes fort variés, et une pédagogie monolithique, où tous seraient censés aller à la même allure seraient immanquablement vouée à l'échec. A cela plusieurs raisons. Tout d'abord les performances orthographiques sont très variables. Tous les enfants n'ont pas le même nombre d'erreurs à gérer : c'est le point le plus évident de la nécessité d'une différenciation. Tous les enfants n'ont pas n'ont plus les mêmes lacunes dans l'apprentissage. La nature des erreurs à traiter diffèrent donc d'un élève à l'autre. De plus la pratique de l'expression écrite conduit à des productions variées. Tous les enfants n'écrivent pas toujours le même texte. Ces trois raisons obligent à penser l'organisation de la classe en fonction des besoins des enfants.


Organiser la classe


Les exercices comme la dictée dialoguée permettent de mettre en évidence les raisonnements linguistiques mais l'autonomie de l'enfant passe dans le réinvestissement de ces raisonnements au cours de la phase de correction des textes. Si l'enseignant souhaite que l'enfant acquière une autonomie orthographique encore faut-il que celui-ci en ait les moyens. Pour corriger son texte, l'enfant a besoin de pouvoir accéder à toutes les ressources linguistiques que la classe peut lui offrir. Ces ressources sont de deux natures bien différentes : écrites d'une part et humaines d'autre part.

Les ressources écrites sont de deux types. D'un coté tout le savoir construit en classe sera rendu accessible. Les moyens en sont nombreux : cahier de règles, synthèses, affiches, fichiers collectifs sur papier ou sur informatique, répertoire de mots, typologie d'erreurs … Il ne faut pas négliger non plus les sources institutionnelles : dictionnaires, grammaires, tables de conjugaison, manuels … Bref, tous les référents disponibles dans la classe. Ce dont a besoin l'élève qui s'engage dans la correction, ce sont les nombreuses béquilles que l'activité collective de la classe lui construit. S'il trébuche sur une erreur, il doit pouvoir se rattraper.

Les ressources humaines sont nombreuses aussi. L'enseignant tout d'abord apporte une aide logistique essentielle. C'est lui (elle) qui oriente l'activité de l'enfant qui lui permet de construire une stratégie. Cela est réalisé notamment dans le guidage du repérage des erreurs, mais aussi dans le guidage dans l'utilisation des référents. A l'instant de la correction, le rôle de l'enseignant est grandement modifié. Il agit non plus pour dire ou faire dire la règle, mais pour faire trouver le lieu de l'erreur et le lieu où est inscrite une solution. Cela implique que soit identifié en amont le problème orthographique qu'il faut résoudre. Si la correction d'une erreur est abordée comme un problème dont la solution est déjà écrite quelque part, nul doute que tous  les enfants sont capables de parvenir à le résoudre. Les ressources humaines de la classe, ce sont aussi tous les élèves. Favoriser la collaboration entre enfants, instaurer des élèves ressources … sont des moyens extrêmement efficaces de faciliter le repérage des erreurs et de favoriser l'accès aux référents. Si la coopération entre enfants est une aide pédagogique pour l'enseignant et une aide méthodologique pour certains enfants, elle ne doit cependant pas organiser la dépendance de certains enfants, ce qui serait contraire à l'objectif d'autonomie. L'enseignant est alors placé devant un choix qui ne dépend que de son style pédagogique : organiser les temps de collaboration et les temps individuels ou laisser s'instaurer une collaboration "naturelle" en la régulant, voire en la suscitant le cas échéant.

La collaboration entre enfants a malgré tout ses limites. Si elle très efficace d'un point de vue pratique notamment dans l'utilisation des référents, elle montre assez rapidement ses limites dans le repérage, notamment dans les domaines où tous les enfants font des erreurs (système verbal par exemple). La norme linguistique qu'est l'orthographe est très exigeante pour le scripteur. Au cours du cycle III, on ne peut espérer faire parvenir tous les enfants à l'autonomie pour le repérage des erreurs. Il convient donc de mettre en place un système d'aide très modulable dont les enfants les plus avancés s’exempteront d'eux-mêmes, mais qui reste indispensable jusqu'à la fin du cycle pour certains. Le maintien d'une aide à la correction n'est pas le signe d'un échec de la pédagogie, mais une nécessité tant que l'enfant n'a pas terminé ses apprentissages. Or ceux-ci s'achèvent objectivement au collège. La mise en place de l'aide à la correction se révèle donc obligatoire.


Varier le repérage des erreurs


La principale difficulté, la première dans la chronologie de la correction, est le repérage des erreurs. La prise en compte de cet écueil dans le guidage de l'enfant oblige à repenser le repérage. Les aides que l'on apporte dans ce domaine sont de deux ordres : méthodologique d'une part, linguistique de l'autre. Favoriser l'une ou l'autre entrée revient finalement au même car le linguistique est prédominant dans cette problématique. Selon que l'enseignant voudra favoriser l'un ou l'autre aspect il adoptera l'une ou l'autre démarche.


Développer une méthodologie de relecture


La démarche de la dictée dialoguée permet la verbalisation des procédures de recherche des graphies correctes. A la pratique de cet exercice, force est de constater que les questions sont "toujours les mêmes". L'enseignant peut en faire émerger une méthode de relecture construite par les enfants pour les enfants. La pratique de la dictée s'ouvre ainsi sur un réinvestissement en expression écrite et motive de manière intéressante la dictée. L'objectif est alors d'apporter à l'élève des procédures de contrôle systématique de son texte. Cela exige cependant des compétences grammaticales importantes. Le découpage du texte en phrases, de la phrase en constituants syntaxiques … constitue un excellent exercice d'analyse, mais il ne doit pas masquer le fait que cette capacité d'analyse est un préalable à l'émergence de la méthode. Une dérive constatée de cette démarche pédagogique est l'instauration d'une norme comportementale où l'analyse grammaticale est imposée arbitrairement à l'enfant, le risque étant de généraliser un échec orthographique naissant à toute l'étude de la langue. Une autre limite apparait dans la recherche des erreurs d'orthographe lexicale où une méthode rationnelle est plus délicate à développer. Cette démarche méthodologique implique donc un important travail préalable et s'applique possiblement dès la première année du cycle sous les réserves que nous venons d'exprimer. Elle ne rend cependant pas une différenciation pédagogique très aisée aussi, si le projet est plus axé sur une démarche individuelle d'apprentissage, proposons-nous une alternative.

Le développement collectif d'une méthode de relecture centre la problématique de l’apprentissage sur la langue et moins sur la production orthographique de l'enfant même si celle-ci n'est évidemment pas absente. Si l'enseignant veut centrer l'enfant sur ses difficultés, il convient de le faire travailler sur les erreurs qu'il a commises et non sur celles qu'il aurait pu faire. Pour cela le repérage de l'erreur par l'enseignant est indispensable. La pratique la plus répandue est de souligner l'erreur, charge restant à l'enfant de la rectifier. Ce procédé très efficace de repérage ne permet cependant pas à l'enfant de progresser car fréquemment il ne sait pas pourquoi il y a erreur et la correction qui suit est elle-même erronée. Plutôt que de signaler à l'enfant le lieu de son erreur, lui signaler la nature de celle-ci l'oblige à prendre en compte l'indication que lui donne l'enseignant et donc à en rechercher le lieu.

Par exemple dans la phrase : "Les chats mange les souris", si "mange" est souligné l'enfant modifiera vraisemblablement la terminaison. Il n'aura cependant pas nécessairement reproduit le raisonnement morphosyntaxique qui conduit à accorder sujet et verbe et à choisir une terminaison verbale plutôt qu'une autre. Or l'objectif de la correction est justement de mettre en œuvre ce raisonnement de façon à l'automatiser à terme. Si l'enseignant donne, en face de la phrase, une indication sur la nature de l'erreur comme "problème d'accord" ou "conjugaison" il incitera l'enfant à identifier le verbe puis le sujet et donc le contraindra à suivre le raisonnement syntaxique.

L'avantage essentiel de cette démarche est de faire agir chaque enfant sur ses propres erreurs. Le type des erreurs faites est la signature de la compétence de l'enfant (v), le faire travailler sur ses erreurs c'est à coup sur, le faire progresser. La différenciation pédagogique est donc contenue dans la méthode de travail puisque l'enseignant ne donne à chaque élève que des indications le concernant. Elle peut être plus grande encore. En effet, l'indication donnée par l'enseignant est portée selon les capacités de l'enfant en tête de ligne, de paragraphe ou même de texte.

Cette méthode qui s'applique essentiellement dans le cadre de la correction orthographique de l'expression écrite, nécessite un temps d'adaptation pour l'enseignant comme pour les élèves. Elle impose en premier lieu le recours à une typologie d'erreurs vi et impose donc une grande intégration du système d'apprentissage de l'orthographe et de son évaluation en particulier. Elle est cependant fort productive car elle permet à l'enfant de prendre conscience de ses faiblesses. Lorsque cette prise de conscience s'opère, et cela peut être long à venir, l'enfant se forge lui-même une méthode de relecture ce qui en terme d'autonomie est un gage de réussite.

Copyright © Jean Pierre Sautot  CRDP de Grenoble - Toute reproduction interdite !

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i Voir "Théorie pour l'enseignant – Une acquisition"

ii  Le regroupement des élèves fait l'objet d'une littérature assez abondante. Nous ne citerons ici qu'un numéro déjà ancien des "Cahiers pédagogiques" qui propose de nombreuses pistes : Cahiers pédagogiques n° 279, Décembre 1989, Groupements d'élèves il n'y a pas que la classe.

iii Du type 'T'es nul c'est pas ça du tout !" …

iv Marc Arabyan, L'Ecole des Lettres-Collèges n°12, p. 79

v Voir  le chapitre "Evaluer compétence et performance"

vi Voir le chapitre “ Raisonner avec les erreurs ”